Questioni internazionali

Mafias du monde Thierry Cretin Presse universitaire de France (PUF), 2002, 246 pages (euro 22)

SAu-delà des faits divers, les mafias sont finalement mal connues, surtout en Europe, exception faite de l’Italie. Cosa Nostra, cartels de Colombie et du Mexique, mafia italo-américaine, mafias russes, triades chinoises et Yakuzas japonais, ces organisations n’hésitent ni à tuer ni à corrompre.
L’étude entreprise par Thierry Cretin, détaché auprès de l’Office de lutte anti-fraude (commission européenne), permet d’approcher de plus près les réalités criminologiques, sociologiques et économiques des différentes mafias, afin de comprendre une partie de la charge de mystère qu’enveloppent touiours ces organisations criminelles. Aujourd’hui, elles opèrent la fusion du trafic illicite des stupéfiants, des armes et des migrants clandestins, rapprochant et renforçant ainsi leurs centres de profit.
Avant toute chose, les groupes mafieux ne peuvent s’appréhender que si l’analyse s’efforce de toujours mettre en avant le tissu social sur lequel ces organisations ont émergé. Le juge Falcone expliquait qu’il y avait toujours un étroit rapport entre une société et sa délinquance(1). Ainsi, la lutte contre la mafia exige de bonnes connaissances sociologiques et anthropologiques.
C’est pourquoi la première partie de ce livre consacre des développements à l’histoire, à l’inscription sociale et économique des sociétés criminelles. Le constat est sans appel. Le tour du monde des mafias montre qu’elles sont implantées sur tous les continents. A l’heure de l’ouverture des frontières, cette criminalité transnationale a déjà une longueur d’avance.
Multiples et variées, ce qui permet de donner tout son sens à la pluralité du mot «mafias», ces organisations criminelles ont tout de même des traits distinctifs.
En deuxième partie, I’auteur s’attache à démontrer que l’on retrouve dans les différentes mafias, les thèmes réitératifs de la position centrale de la famille, de la référence à l’honneur, de la culture de la mort (la mort donnée, la mort reçue, la mort promise), du caractère initiatique de l’admisssion, du respect de la tradition et de la prééminence de l’ordre mafieux sur l’individu.
L’initiation prend la forme d’une cérémonie qui sacralise le passage à un nouvel état. C’est aussi un engagement puisque l’on y prête serment de loyauté, de fidélité, d’obéissance et d’honneur.
L’autre caractéristique relève de la position centrale du noyau familial dans la grande criminalité organisée. La famille ne doit pas être entendue stricto sensu. Elle regroupe les membres par le sang mais aussi les alliés, c’est-à-dire à la fois la filiation et l’affiliation(2).
Ces différents critères permettent de donner une définition de la mafia. Mais plus encore, c’est le rapport au monde qui les entoure qui permet de mieux saisir le poids de ces organisations criminelles.
«Nous ne cherchons pas à gouverner le monde, nous voulons le posséder»(3). Cette affirmation résume à elle seule, le rapport qu’entretiennent les mafias avec le pouvoir et l’État, leur place et leur influence dans l’économie: ne pas prendre le pouvoir mais s’en servir pour s’enrichir. Pour cela, elles investissent les coulisses des organes de décisions par le biais de la corruption.
Les mafias maîtrisent aussi la sphère économique. Le chiffre d’affaire annuel des activités mafieuses s’élève à 1.000 milliards de dollars, plus de trois fois le budget national français; l’essentiel étant alors de blanchir cet argent sale.
Plus préoccupante est la synthèse d’un des groupes de recherche et de réflexion du Centre des hautes études de l’armement(4), rédigée en septembre 1995. Ce texte révèle l’implication des mouvements mafieux sur nos capacités de défense. Le danger est réel. Depuis l’effondrement de l’ordre bipolaire, l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) est devenue la zone de tous les commerces où prolifèrent les affaires de trafic de matières radioactives et d’armes.
Politique, économie, défense, médias, cinéma, la pieuvre déploie ses tentacules dans tous les milieux.
Les groupes criminels moins prolifiques naguère sont aujourd’hui de plus en plus nombreux. La répression pour-tant sévère, n’arrive pas à inverser les statistiques. Le crime organisé ne semble pas trouver d’obstacle à sa mesure.
La mondialisation des échanges, la lenteur de la mise en oeuvre d’une coopération judiciaire transfrontalière font que les mafias sont de plus en plus inclines à se servir du système qui les met à l’abri de toute poursuite.
L’ouvrage de Thierry Cretin apporte un éclairage particulièrement impressionnant sur cette criminalité contagieuse.

Approfondimenti

(1) - G. Falcone, M. Padovani, Cosa Nostra.
(2) - Lire: Les travaux à caractère anthropologique Sociale, de A.J. Ianni, Des affaires de famille.
(3) - Christian de Brie, Désarmer les seigneurs de la guerre.
(4) - Ce centre est sous la tutelle de la Délégation générale à l’armement (DGA) qui dépend du ministère de la Défense.